Cela fait longtemps que je ne m’étais plus tournée vers Jonathan Coe. La pluie, avant qu’elle tombe (2007, traduit de l’anglais par Jamila et Serge Chauvin), est un roman tout en sensibilité, aux personnages attachants, même si l’histoire est sombre, et l’écrivain britannique a surpris ses lecteurs attachés à un ton plus ironique. La mort de son grand-père et les souvenirs des vacances passées chez lui quand il était enfant ont nourri son inspiration, entre autres, comme il l'explique sur son site.
Mais ce roman donne voix surtout aux femmes. Gill apprend le décès de sa tante Rosamond à 73 ans, trouvée chez elle « assise bien droite dans son fauteuil ». A son enterrement au village, peu de gens se connaissent. Gill est heureuse de retrouver son père, son frère, et ses filles, Catharine et Elizabeth. De l’amie médecin de sa tante, elle apprend que celle-ci était en train d’écouter de la musique, et qu’elle tenait un micro relié à un vieux magnétophone.
Rosamond, qui n’a pas eu d’enfant et avait perdu Ruth, sa compagne peintre, des années auparavant, a divisé son héritage entre Gill et David, ses neveux, et une « quasi-inconnue », Imogen, que Gill n’a rencontrée qu’une seule fois, il y a plus de vingt ans – la petite fille aveugle était à la fête des cinquante ans de sa tante. Comment retrouver sa trace ? Il faut de toute façon que Gill aille quelques jours dans le Shropshire pour trier les affaires de Rosamond.
Dans le modeste bungalow de sa tante, Gill trouve près du fauteuil tourné vers le jardin un portrait d’Imogen enfant, des cassettes, et un petit mot : « Gill, ces cassettes sont pour Imogen. Si tu ne la retrouves pas, écoute-les toi-même. » Sur l’électrophone, des Chants d’Auvergne par Victoria de Los Angeles. Près des autres disques, un verre à whisky et un flacon vide de tranquillisants. Gill en est bouleversée, puis décide de ne rien en conclure. Rosamond avait de graves ennuis cardiaques, elle avait refusé de se laisser opérer et savait sa fin proche – pourquoi en parler ?
Quatre mois plus tard, malgré les annonces, Imogen reste introuvable. Gill se rend à Londres où vivent ses filles pour écouter les cassettes avec elles. C’est à Imogen que Rosamond s’adresse d’emblée, Imogen dont elle a perdu la trace depuis que ses « nouveaux parents » ont décidé d’éviter tout contact avec elle. Rosamond lui laisse de l’argent, mais elle a quelque chose d’« infiniment plus précieux » à lui transmettre : son histoire, « la conscience de (ses) origines, et des forces qui (l’) ont façonnée ».
Elle a sélectionné vingt photos dans ses albums. Comme Imogen ne peut les voir, elle a choisi de les lui décrire et de raconter leur contexte, afin d’arriver au plus douloureux, une histoire qu’Imogen ne connaît pas et qui la concerne, une vérité que Rosamond est seule à connaître. La pluie, avant qu’elle tombe est le récit d’une vie, « l’album du destin selon Jonathan Coe » (Le Monde).
Rosamond, avant de mourir, a revisité son enfance et les temps forts de sa vie, de la fin des années 1930 à ses cinquante ans. Sa cousine et deux femmes aimées ont énormément compté pour elle. Rosamond cherche les mots justes, se perd parfois en digressions, s’interrompt quand l’émotion la submerge. Sa voix révèle des pans secrets de sa propre vie, d’autres vies aussi, et la place qu’y tient Imogen, restée si proche dans son cœur malgré que la vie les ait éloignées l’une de l’autre.
L’auteur est musicien, amateur dit-il, et son roman fait une belle place à la musique, notamment à travers le personnage de Catharina, la fille de Gill, qu’on y découvre en concert. Si le destin de ses personnages, ou plutôt leur quête de la vérité, captive en premier le lecteur, l’écrivain britannique possède l’art, par petites touches, d’évoquer en même temps une époque, des paysages. Dans son dernier roman, Expo 58, un personnage secondaire de La pluie, avant qu’elle tombe (Thomas, le père de Gill) est invité à se rendre à Bruxelles pour l’Exposition universelle – un autre rendez-vous prévu avec Jonathan Coe.